Aux anges.... Une déesse noire
- Fabrice LAUDRIN
- 21 nov. 2019
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 nov. 2020
Toujours dans ma quête des saveurs belles et authentiques liées au mariage des Champagnes, je me suis délecté d'un poème d'Emile GOUDEAU : En Ménage.

EN MÉNAGE.
Moi, fils du Périgord, je dois
Saluer la Truffe, ma reine,
Fille de la Terre et du Chêne ;
Et, pour la saluer, je bois !
Or je bois du Royal-Champagne (1),
Quand maintes détonations
Ont averti les nations
Que ce Monarque entre en campagne.
Monte en coupe, ô messager blond !
Nous te réservons la fortune
De rejoindre la Truffe brune
Dans l'oesophagique vallon.
O Dieu ruisselant de liesses,
Chante, piaffe, déborde, sois Le plus ensoleillé des rois
Pour la plus noire des déesses.
Robe de nuit, et flamme d'or !
Consommez
— c'est terme d'usage —
Sur la mousse, le mariage
De Champagne et de Périgord.
EMILE GOUDEAU, Paris 1890 (2)
J'étais donc ici en présence d'un goût parisien en usage à la fin du XIXe siècle. La France était empêtrée dans ses affaires coloniales en Afrique. Clément ADER réussissait enfin à faire décoller un engin plus lourd que l'air et Emile ZOLA donnait les derniers coups de plume à son roman l'Argent. Et puis surtout, Henri Becque jouait à la Comédie-Française une pièce légère que j'affectionne particulièrement, La Parisienne et sa coquine Clotilde (3).
Marier, mettre en ménage, deux régions, deux ensembles de terroirs, deux antagonistes... Un roi solaire et pétillant, une décesse noire et capiteuse.
Un samedi d'hiver, profitant d'un week-end en célibataire, sans Cerbère de mon porte-monnaie, je dénichais Place d'Erlon à Reims un bocal de 100 grammes de truffes du Périgord, un joyeux Champagne "Blanc de blancs", un autre à dominante de Meunier et un vieux flacon de pur Pinot noir. Découpant la tubercule en fines lamelles, j'organisais un speed-dating entre ces trois rois impatients et la déesse capiteuse.
N'en déplaise à mon cher Goudeau, pour qui, je pense, l'hommage d'un phallique Chardonnay aurait été l'idéal, cette déesse s'est donnée sans retenue au Meunier. Elle s'est retrouvée bercée par la plénitude d'un nez de sous-bois gorgé de noix et de miel.
Bénissant cette union et heureux comme un pape, je téléphonais à mon cuisinier préféré. Je me fis traiter de barbare sans finesse...
Le lendemain, pour le déjeuner dominical, je fus prié de me rendre dans l'antre de mon juge avec ce qui restait de mon bocal et de mon Meunier.
Là, au son de l'appel des cloches de la Cathédrale, valsèrent dans l'épaisse poêle en fonte noire, foie de lapin, rognons de veau, œufs frais, ail, graisse d'oie et cèpes joufflus. Nous communiâmes autour d'une divine omelette du curé et dirent notre messe au Meunier.
Un instant aux anges... Je m'imaginais à Paris, en 1890, en redingote, quelque part sur les quais de Seine, Clotilde à mon bras.
(1) - Le Royal-Champagne fait référence à deux illustres régiments éponymes, infanterie et cavalerie, de l'Ancien Régime formés en Champagne.
(2) - In Le chansonnier du vin de Champagne en 1890, publié par Armand Bourgeois, Châlon-sur-Marne, 1890 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5432201h
(3) - le livret de La Parisienne est disponible à : https://libretheatre.fr/wp-content/uploads/2017/02/laparisienne_Henrybecque_LT.pdf
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