Trafic de champagne au Tonkin
- Fabrice LAUDRIN
- 1 déc. 2020
- 3 min de lecture

Même si on peut être un ardent défenseur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il est des récits de campagnes coloniales chatouillant bien profondément ce qui reste de notre âme d’enfant avide de découvrir et posséder le monde qui l’entoure.
C’est le cas du récit autobiographique du médecin militaire Charles-Edouard Hocquart (1853-1911). Son ouvrage Une campagne au Tonkin se lit comme un roman d’aventures. Nous y suivons les troupes du général Millot progressant à travers le Tonkin de 1884.
Canonnière remontant le fleuve, batailles épiques, descriptions des mœurs… Ce récit n’a rien à envier au rythme et à l’intrigue du film La Canonnière du Yang-Tsé (Robert Wise, 1966). Peut-être y manque-t-il une romance tragique ? Non, pas pour moi, je suis un mec… Pas besoin de romance à l’eau de rose.
Plus sérieusement… Ce texte est également un précieux témoignage sur le marché de la contrefaçon européenne des biens de luxe inondant le Sud-Est asiatique depuis la colonie britannique de Hong-Kong.
Notre médecin se trouvant temporairement à Hanoï décrit le marché rue des Poteries, à deux pas de la citadelle. Il nous livre le détail de certaines théières, le prix du thé, la façon de le préparer… Et des étals exhibant avec fierté « des bouteilles en verre d’origine européenne ».

Il découvre également des flacons de champagne : « La plupart de ces bouteilles portent encore leurs étiquettes ; beaucoup ont le casque d’argent et la carte de nos meilleures fabriques de vin de champagne. Les Annamites, qui ne peuvent pas sentir notre vin rouge, aiment beaucoup au contraire le vin blanc mousseux ; une caisse de champagne est un cadeau extrêmement apprécié des mandarins ; mais il ne faudrait pas croire que ce vin dont on commence à faire une assez grande consommation dans le pays a une origine bien authentique ; il existe à Hong-Kong des fabriques allemandes et anglaises de vins mousseux ; les propriétaires de ces fabriques placent sans scrupule sur leurs bouteilles le nom et les marques de nos productions les plus renommés : voilà pourquoi on trouve à Hanoï du Moët et Chandon carte bleue à une piastre la bouteille. »[1]
Ce texte est intéressant car il nous révèle plusieurs faits. Le champagne, en tant que vin blanc mousseux, n’est pas uniquement destiné à la consommation des Européens croisant dans le Sud-Est asiatique. Il est fort apprécié de la bourgeoisie administrative locale. Et surtout… Nous apprenons qu’à Hong-Kong une industrie européenne vivait de la contrefaçon de champagne.
Nous y apprenons également que le flacon de champagne est vendu à 1 Piastre équivalente à 10 francs français. En comparaison, sur le marché Français en 1913, le champagne est vendu entre 3 et 9 francs[2].
Il semble donc que le prix du mousseux fabriqué à Hong-Kong suive celui des plus onéreux champagnes sur le marché intérieur français. Pour qui n’est ni expert, ni à cheval sur les principes, n’est-il pas tentant d’offrir à son mandarin préféré une caisse de « champagne » visiblement de Grande Maison, sans avoir à payer le surcoût du transport et des douanes ?
Avec un peu d’impertinence ?… En matière de biens de luxe, les Européens eux-mêmes seraient-ils à l’origine du cercle non vertueux de la contrefaçon dans le Sud-Est asiatique ?
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